« Dis Maman, on dort où ce soir ? » : des dizaines de migrants sans hébergement à Tours

Cette question, des mômes la posent chaque soir à leurs parents, après que ceux-ci aient appelé en vain le 115. L’association Chrétiens Migrants, qui vient en aide aux demandeurs d’asile et sans-papiers, alerte une nouvelle fois sur la situation des hommes, femmes et enfants qui sont laissés à la rue faute de volonté d’intervention des pouvoirs publics.

Dans l’étroit local de Chrétiens Migrants, des dizaines de personnes se présentent chaque soir dans l’espoir de trouver une solution d’hébergement pour la nuit. Ce lundi, deux jeunes mineurs guinéens sont là. Ils sont passés par le Mali, l’Algérie, la Lybie et l’Italie avant d’atterrir à Tours, dans le quartier du Sanitas. L’aide sociale à l’enfance n’a pas voulu d’eux — c’est presque toujours le cas lorsque des jeunes s’y présentent —, ils n’ont pas d’endroit où passer la nuit. C’est un peu par hasard qu’ils dormiront ce soir dans un hôtel pas cher de la zone commerciale de Chambray-lès-Tours, avec un réfugié afghan.

Sur le bureau de l’association, il y a les dossiers d’une famille afghane, de célibataires marocains. Mais l’urgence liée au besoin de loger les gens prend le pas sur le traitement des dossiers d’asile. Dimanche 1er mai, 31 adultes et 27 enfants suivis par Chrétiens Migrants étaient sans solution de logement. Ce lundi 2 mai, ils étaient encore une quarantaine. Chaque soir, le 115 refuse plus de 60 personnes.

Une femme et son bébé vont être logés dans un hôtel du centre-ville, mais au détriment d’autres personnes remises à la rue. Le jeu des chaises musicales se poursuit. La bénévole de Chrétiens Migrants explique :

« Le 115 s’efforce de loger les femmes avec de jeunes enfants. C’est trop scandaleux d’avoir un bébé de trois mois dehors, alors ils virent les autres. Comme ça ils n’ont rien à se reprocher. »

Malgré cela, il y a encore une femme ce soir qui risque de passer la nuit dans la salle d’attente des urgences de l’hôpital Clocheville, avec son fils de cinq ans. Seule solution pour ne pas dormir dehors. Dans le local de l’association, il y a aussi des Yézidis du Kurdistan, des Guinéens, des Géorgiens. Plusieurs enfants circulent entre les deux pièces ; l’un d’eux arbore un superbe pyjama Spiderman.

La politique de relocalisation des migrants bloqués à Calais mise en œuvre par le gouvernement a aggravé une situation déjà précaire. Ces relocalisations sont seulement temporaires : les demandeurs d’asiles « volontaires » pour quitter Calais sont envoyés vers des destinations qu’ils ne connaissent pas, sans que de réelles solutions de logement aient été organisées — et ce bien que la loi prévoie que les demandeurs d’asiles doivent être logés. Localement, la préfecture d’Orléans a orienté certains de ces « Calaisiens » vers Tours, et le foyer Albert Thomas a dû mettre d’autres demandeurs d’asile à la rue pour leur faire de la place.

Déjà, la situation dans Tours s’était dégradée au début du mois d’avril, avec la fin du Plan Hiver et la fermeture de deux provisoires qui comptaient 35 places. Bien que la direction départementale de la cohésion sociale ait été interpellée sur cette situation, rien n’a été fait.

Il arrive souvent que les nombreuses personnes qui passent dans les locaux de Chrétiens Migrants en fin d’après-midi dans l’espoir d’obtenir une solution d’hébergement y mangent aussi. Vous pouvez donner à l’association du poulet, du riz, des yaourts, des œufs. Les locaux sont situés au 4, allée de Luynes, dans le quartier du Sanitas à Tours.

Il est difficile de donner la mesure du désespoir qui règne dans le local de Chrétiens Migrants. La bénévole assure que « c’est la catastrophe ». Après les refus du 115, c’est à elle qu’il revient de dire aux personnes qui la sollicitent : « Il n’y a rien ».

« Je répète ça 50 000 fois dans la journée. J’en ai marre. »

Un homme vient la voir, cela fait deux semaines qu’il dort dans la rue, ou passe ses nuits à traîner. Il obtient rarement des places en foyer. Mais même ici, sa situation passe après celle des femmes, des familles et des mineurs isolés. L’association n’a plus d’argent pour payer des nuits d’hôtels, les bénévoles y vont de leur poche. Chaque soir, des coups de fil sont passés dans l’espoir de trouver une chambre, un canapé sur lequel un demandeur d’asile pourra passer la nuit.

En mai 2015, l’association Chrétiens Migrants avait déjà lancé un cri d’alarme sur la situation des familles et mineurs étrangers à la rue :

« Depuis des mois, chaque soir, ils sont entre 20 et 30, dont la moitié d’enfants, à implorer de l’aide pour dormir et manger. Parmi ces personnes il y a surtout des familles, mais aussi des femmes seules avec des jeunes enfants et des nourrissons, des handicapés, des malades,de très jeunes femmes célibataires. Les hommes seuls, eux, abandonnés de tous, n’osent plus rien demander. Tous sont très vulnérables, tous nous demandent une mise à l’abri pour une survie immédiate car ils ne savent pas où dormir, les services sociaux les ayant rejetés à la rue. Leur détresse est terrifiante.  »

Un an plus tard, rien n’a changé. Seul le nombre de personnes concernées par cette situation a augmenté. L’État et les élus locaux restent sourds aux appels lancés.

Heureusement, tous les étrangers ne sont pas logés à la même enseigne : la ville de Tours accueillera l’équipe de foot de République Tchèque pendant la durée du championnat d’Europe.

P.-S.

A ce sujet, lire aussi ce reportage photographique et sonore : Quand les demandeurs d’asile dormaient sous un escalier du Sanitas