Dernier chapitre d’une lutte locale

Depuis le 10 février, Damien, Delphine, Séverine, Émilie et Aurélie se battaient pour obtenir des primes de licenciement décentes. Pendant 15 jours et 15 nuits, ces trentenaires et anciens salariés de la librairie tourangelle Chapitre ont occupé leur magasin dans la galerie commerciale de l’Heure Tranquille aux Deux-Lions.

Actissia : mépris et rendez-vous manqués

Pour la deuxième fois en quinze jours et malgré un premier rendez-vous infructueux (le 17 février, la direction n’avait pas daigné les recevoir), lundi 24 février, comme plusieurs dizaines de salariés des librairies Chapitres occupées de Nantes, Montbéliard, Évreux, Colmar, Lyon et Boulogne, Séverine et Damien sont allés manifester à Paris. Pour ces deux occasions, plusieurs ex-salariés de Virgin étaient venus les soutenir. Ce lundi 24, au siège du groupe Actissia (France-Loisirs), devait se tenir un Comité d’Entreprise extraordinaire à l’ordre du jour duquel était inscrite la discussion du plan social de licenciement.

Depuis le début de leur mouvement, la revendication des salariés, soutenus par la CGT, était simple : ils réclamaient des conditions décentes de licenciement (c’est-à-dire des indemnités de départ supérieures au minimum légal et des moyens en termes de formation et de reclassement).

Mais voilà, le rendez-vous tant attendu n’a rien donné. Les portes du Comité d’Entreprise ont été fermées aux salariés et la réunion en marge de ce dernier avec la direction n’a débouché sur rien, sinon un désintéressement qui confine au mépris.

Épilogue d’une occupation

Au soir du lundi 24, les ex-salariés de Chapitre se sont retrouvés pour la dernière soirée d’occupation. La déception était palpable devant le résultat de la journée. Après 15 journées de mobilisation permanente, il devenait de plus en plus difficile aux tourangeaux de cacher leur fatigue, et le groupe décida donc de mettre un terme à l’occupation. Tous exprimaient leur dégout face à l’attitude de la direction du groupe, qui fait visiblement plus grand cas de ses stocks que de ses "collaborateurs".

Le bilan de leur expérience chez Chapitre est amer. Leur travail a progressivement été dévalorisé. De libraires ou disquaires, ils ont dû devenir des vendeurs de produits plus ou moins culturels. Depuis des mois, faire entrer un nouvel ouvrage dans les références du groupe était devenu tellement laborieux que beaucoup avaient abandonné, réduits à proposer des best-sellers renouvelés tous les deux mois. Passionnés par leur métier, ils l’ont vu se dégrader lentement. Ce licenciement est donc le dernier affront qui leur est fait.

Ils tenaient néanmoins à remercier les anciens clients et les passants anonymes pour leurs nombreux témoignages de soutien. L’appel au boycott de France-Loisirs continue. Pour résilier votre abonnement en signe de soutien, vous pouvez trouver une lettre de résiliation pré-rédigée au bas d’un article précédent. Le 6 mars, le recours en justice des salariés licenciés sera jugé. Un rassemblement est prévu à Paris pour l’occasion. Certains Tourangeaux feront le déplacement, histoire de marquer une nouvelle fois leur détermination et tenter de faire valoir leurs droits.

Les affaires reprennent !

Le jour même de l’annonce de la "dés-occupation" par La Nouvelle République, l’activité reprenait dans le magasin des Deux-Lions : des dizaines de palettes avaient été livrées et des intérimaires s’affairaient pour s’occuper de l’enlèvement des stocks du magasin. Le temps était à présent compté : avec les quinze journées de retard liées à l’occupation, le patron du magasin de Tours ne disposait plus que de 72 heures avant d’être lui-même licencié.

Moins de 24h après la "levée du siège", les intérimaires sont déjà au travail
Les vitrines du magasin ont fait peau neuve...

Le contraste était saisissant : à la passivité méprisante du groupe pour ses anciens salariés s’opposaient soudain l’intérêt et le dynamisme pour la gestion des marchandises... Les vitrines du magasin étaient fraîchement nettoyées : pancartes et banderoles revendicatives gisaient en boules sur le sol. Leur témoignage discret était la dernière trace de l’occupation... Un chapitre s’était clôt.

Des « soucieux socialistes »

S’il est une chose que les ex-salariés retiendront, c’est bien cet élan de solidarité de la population tourangelle à l’égard de leur situation. Seuls certains élus locaux, en particulier Messieurs Jean Germain et Jean-Patrick Gille, ont su égaler la direction d’Actissia dans leur indifférence et leur mépris.

Dès le début du mouvement, le maire de Tours répondra aux abonnés absents : pas un geste, pas un coup de fil. Ce sont les occupants qui s’organisent pour se déplacer en centre-ville dans le cadre de la permanence de M. Germain, espérant être reçus. Effectivement, après s’être entretenus avec deux adjoints au maire, les salariés ont vu arriver Jean Germain en personne. Visiblement très concerné par le dossier et après avoir demandé à ses collaborateurs quels étaient les secteurs porteurs dans la région, il a suggéré aux ex-salariés de Chapitre de devenir, au choix, infirmiers (« Vous avez peur du sang ? Regardez ailleurs  ! »), ascensoristes (c’est bien ça, ascensoriste !) ou chauffeurs de poids lourds. Ex-salariés de Chapitre et adjoints ont rivalisé de gêne devant un tel comportement.

Jean-Patrick Gille a quant à lui envoyé son attaché parlementaire à la librairie le dernier jour de l’occupation (mieux vaut tard que jamais ?). Celui-ci s’est fendu en partant d’une tape sur l’épaule et d’un « Bon courage pour la suite ». Condescendance ou familiarité déplacée ? Jean-Patrick Gille s’est ensuite résolu à convoquer les ex-salariés le vendredi 28 février, quelques jours après la fin de l’occupation. Mais l’étonnement de ces derniers a touché à son comble lorsqu’ils se sont vu demander par M. le député le « pourquoi » de leur venue ! Alors que M. Gille est généralement décrit comme un spécialiste des questions d’emploi, il a simplement constaté son incapacité à intervenir (« Je ne peux rien pour vous ») et distribué de larges sourires aux ex-salariées de la librairie.

En ces temps de campagne électorale, ces attitudes n’ont pas manqué d’interpeller les jeunes licenciés. On imagine qu’ils garderont en mémoire la préoccupation et l’aide apportée par leurs élus locaux... Souhaitons qu’ils puissent prochainement leur rendre la pareille ! Le 28 février, le « Plan de Sauvegarde de l’Emploi » de Chapitre a été validé, sans surprise, par l’administration française et ses « soucieux socialistes ».

Saluons Delphine, Damien, Séverine, Émilie et Aurélie pour leur détermination et leur courage. Merci pour leur incroyable accueil, pour tous les moments partagés avec eux dans le magasin, pour leur bonne humeur, malgré les circonstances.

Gabriela, Antoine Marcireau, Caroline.

P.-S.

On notera également la belle erreur dans le communiqué d’Actissia sur le site d’actuaLitté qui écrit
que : "l’attitude des représentants du personnel, qui avaient décidé de boycotter le Comité d’Entreprise du lundi 24 février, mettant en danger le paiement des indemnités légales des collaborateurs". (Le boycott des représentants du personnel n’affectait en aucun cas le paiement des indemnités...)