Commissariat de Joué-lès-Tours : le RAID débarque, les médias s’emballent

Des arrestations ont eu lieu à Joué-lès-Tours ce mercredi 14 octobre, en lien avec les évènements survenus le 20 décembre 2014, et qui avaient conduit à la mort de Bertrand Bilal Nzohabonayo. L’occasion pour les médias d’en remettre une couche sur le caractère supposé « djihadiste » d’une affaire entachée de doutes.

Le mercredi 14 octobre 2015 au matin, quatre interpellations ont eu lieu dans le cadre de l’enquête sur « l’attaque » du commissariat de Joué-les-Tours fin décembre 2014, qui s’était soldée par la mort de Bertrand Bilal Nzohabonayo [1]. C’est la SDAT (sous-direction antiterroriste) et le RAID qui seraient intervenus, plaçant les quatre personnes en garde à vue pour « association de malfaiteur en relation avec une entreprise terroriste ».

Cette affaire reste entachée de doutes tant les versions officielles ont varié et ont été contestées, sans que rien ne permette aujourd’hui d’y voir plus clair [2].

L’enquête menée par le parquet de Tours sur les circonstances ayant conduit à la mort de Bertrand Bilal a été classée en juillet 2015. Restait le volet « terroriste », qui avait été confié au parquet spécialisé parisien.

Sans faire mention des doutes qui entourent cette version, doutes formulés d’abord par des témoins de la scène puis par le procureur de la République de Tours lui-même, les médias locaux et nationaux reprennent à l’unisson une même version : celle du djihadiste Bertrand Bilal Nzohabonayo se ruant sur les policiers en criant « Allah Akbar ». Voici quelques exemples du traitement de ces arrestations.

Pour France 3 Centre-Val de Loire, le journaliste D. Cros se charge d’écrire, sans nuance aucune, que ces arrestations ont eu lieu « dans l’enquête sur l’attaque au nom de l’islam contre le commissariat de Joué-les-Tours » puis que « Le 20 décembre 2014, un homme était entré dans le commissariat et avait blessé violemment, à l’arme blanche, trois policiers en criant "Allah Akbar" (Dieu est le plus grand) ».

La Nouvelle République écrit que « Les faits remontent à dix mois : le 20 décembre 2014, Bertrand Nzohabonayo avait blessé à l’arme blanche trois policiers dans le commissariat de la commune, en criant « Allah Akbar » (Dieu est le plus grand)  » avant de mentionner les doutes de la familles sur le sujet.

Le Parisien donne la même version : « Le 20 décembre 2014, Bertrand Nzohabonayo était entré dans le commissariat et avait blessé à l’arme blanche trois policiers en criant « Allah Akbar » (Dieu est le plus grand) ».

Idem pour Europe 1 qui titre « Attaque au nom de l’islam du commissariat de Joué-les-Tours : quatre interpellations » et écrit que « Le 20 décembre 2014, un homme était entré dans le commissariat et avait blessé violemment, à l’arme blanche, trois policiers en criant "Allah Akbar" (Dieu est le plus grand) ».

Pareil chez Paris Match : « Le 20 décembre 2014, Bertrand Nzohabonayo avait attaqué à l’arme blanche un commissariat de Joué-les-Tours (Indre-et-Loire) en criant "Allah Akbar" ».

Air connu au Figaro : « Le 20 décembre 2014, un homme était entré dans le commissariat et avait blessé violemment, à l’arme blanche, trois policiers en criant "Allah Akbar" (Dieu est le plus grand) ».

Bien sûr tout cela est une reprise de la même dépêche AFP mais on vous laisse apprécier avec quelle précaution travaillent les journalistes malgré la complexité de l’affaire.

Notons que France Bleu, premier média à avoir publié l’information, a l’honnêteté d’au moins mentionner un doute sur cette partie de l’affaire. Le journaliste, X. Louvel, écrit ainsi : « Avait-il crié Allah Akbar (Dieu est grand en arabe) lors de l’agression ? Les témoins de la scène ne l’ont pas tous entendu. Ses parents sont persuadés qu’il n’avait rien d’un terroriste. Il n’était pas fiché, contrairement à son frère connu pour des positions radicales ». Même le proc’ de Tours, lors de sa conférence de presse du 31 décembre, n’évoquait pas ce supposé « Allah Akbar ».

Notes

[1Il y a eu deux arrestations dans le quartier de La Rabière, à Joué-lès-Tours, une autre dans le Loir-et-Cher et une dernière à Bordeaux.

[2Pour un aperçu des questions posées dans cette affaire, vous pouvez relire les articles publiés sur le site depuis décembre 2014 et lire un article de synthèse rédigé par des membres du collectif d’animation et publié dans le mensuel CQFD.