« Charte de la qualité urbaine » : la mairie de Tours repousse encore les limites de la langue de bois

Décryptage mi-amusé mi-navré de la « charte de la qualité urbaine », dernière trouvaille de la municipalité pour planquer derrière des termes creux une vision peu enthousiasmante de la ville. Entre attractivité étouffante, ode à un contexte fantasmé et clôtures naturelles.

A entendre, lors du Conseil Municipal du 17 octobre 2015, la diatribe de Xavier Dateu sur Monconseil [1] ainsi que la promesse associée de rédiger le nouveau plan local d’urbanisme (PLU) pour mettre un coup d’arrêt à ce type d’urbanisation dégueulasse, nous commencions à être séduits par la vision de l’urbanisme de la mairie. Quand il a été annoncé lors du même conseil municipal que le nouveau PLU serait réalisé sans l’aide de professionnels de la profession (architectes, urbanistes), nous nous sommes dit qu’on n’était pas forcément sur une mauvaise voie puisqu’on allait bien sûr y associer la population…

Quand nous sommes tombés sur « la charte pour la qualité urbaine » de Tours, on s’est rendu compte que ça ne se ferait pas sans « communicants » ou autres publicitaires. Comme nous y a habitué la mairie actuelle en matière d’urbanisme, il s’agit d’un exercice de langue de bois de haute volée. Un exercice qui garantit seulement que rien ne va changer radicalement dans la manière dont on modèle la ville, et que nous proposons ici de décrypter ici.

Au service de l’ « attractivité » et du « rayonnement » : sortez les poncifs

Sur son site, la mairie précise que cette charte est la première étape du développement du « nouveau projet urbain de Tours », la seconde étape étant la révision du PLU. Nous y apprenons que la charte a été signée le 6 octobre avec « les architectes, professionnels du BTP, bailleurs... ». Nous n’en saurons pas plus sur l’identité des signataires, et honnêtement nous doutons franchement que tous les représentants de ces glorieuses professions aient eu le droit de signer… L’objectif de la charte est aussi précisé… et c’est parti pour un premier enchaînement de poncifs. Il s’agit en effet de « faire rayonner et accroître l’attractivité de Tours, préserver son identité et sa qualité urbaine pour le bien vivre des habitants ». En français, et si on se fie à la politique habituelle, ça veut dire : « faire du fric, encourager le beige et les pastiches de vieille pierre, pour que les habitants puissent consommer confortablement dans des espaces pacifiés ».

Attractivité et rayonnement appellent un commentaire un peu plus large. Ces deux mots inséparables forment le laïus de base des politiques publiques de toutes les villes qui se battent entre elles pour attirer les cadres, les touristes, les marchands les plus divers et finalement les capitaux. Le rayonnement est une quête éperdue qui justifie aussi bien les bouses Hilton du haut de la rue nationale, les dépenses somptuaires pour organiser les fameuses « fêtes martiniennes », la location d’espaces publicitaires dans le métro parisien ou encore, à l’époque de Jean Germain, l’organisation des fameux et funestes « mariages chinois ».

Le rayonnement et l’attractivité semblent constituer l’unique ligne politique de la nouvelle mairie de Tours (avec le sécuritaire anti-pauvres, lui aussi d’ailleurs justifié en termes d’image). Le rayonnement doit rendre la ville attractive, c’est-à-dire ramener du pognon, le plus de pognon possible. Politiquement, ça consiste à faire de l’affichage et à se gargariser au moindre semblant de visibilité nationale ou internationale (des prix les plus incongrus et obscurs aux reconnaissances professionnelles d’inconnus dont la grand-mère est née dans le coin, au moindre article sur la ville dans un canard national) et surtout à répéter ces deux mots à la con à l’infini [2].

« Attractivité » et « rayonnement » sont logiquement les deux termes qui justifient la rédaction de la « charte de la qualité urbaine ». On va voir ce qu’on va voir. Formellement, il s’agit d’un court document de 8 pages (dont une de couverture et une pour les signataires inconnus) organisé en un avant-propos suivi de trois articles (oui, comme dans une loi) que nous allons ici reprendre scolairement dans leur ordre de présentation (et avec leurs titres originaux).

Avant-propos

« Attractivité » et « rayonnement » sont bien évidemment encore les mots qui dominent l’avant-propos de la charte. Un avant-propos d’une densité en mots creux assez remarquable, mais dans lequel on en apprend beaucoup sur la portée de ce document. C’est bien simple, il n’en a aucune. En effet, « la charte n’est pas un document opposable et n’a pas de portée juridique ».

Alors, ça sert à quoi ? La mairie nous dit qu’elle s’inscrit « dans une démarche d’urbanisme de projet où le dialogue et le partage sont privilégiés » pour « coproduire » le nouveau PLU. C’est beau comme un cahier de propagande pour l’économie sociale et solidaire. Le terme clef là-dedans est l’omniprésent « projet ». Pour une définition de cette notion, nous nous reportons à celle du dictionnaire de la langue de bois de l’ex-SCOP Le Pavé :

Au hit parade des mots insoupçonnables, des aliénations merveilleusement positives ancrées au plus profond de nos convictions se tapit le plus redoutable d’entre eux : « PROJET » : le cœur de la nouvelle culture capitaliste. Le "projet" apprend à travailler seul, à viser une production, c’est à dire à réaliser un produit. Le projet détruit le temps et le long terme. Il a un début et surtout une fin. Il est remplaçable par un autre. Pour le pouvoir, (très friand des projets) il transforme des relations politiques en relations marchandes car il permet d’acheter des prestations-produit en les déguisant en démarches. En management, "projet" remplace "hiérarchie"...
Avec l’envahissement de la culture du « projet » depuis une vingtaine d’années le capitalisme révèle le cœur de son idéologie : une société qui n’a plus de projet (de transformation sociale vers plus toujours plus d’égalité) et dont la volonté politique semble se résigner au règne de la marchandise pour cause de concurrence, de mondialisation, et d’écroulement des socialismes « réels », ne cesse de demander à ses citoyens (et surtout aux plus pauvres privés d’avenir) de se projeter, de faire des projets, (des micro-projets d’adaptation). Une société qui ne se projette plus dans l’avenir mais aménage à l’infini le présent de la marchandise dans un capitalisme pour seul horizon dispense des miettes de futur sous forme de micro-projets où chacun devient petit capitaliste de sa vie.

Cette volonté de faire du projet doit conduire à faire de la ville « un espace particulièrement attractif pour les professionnels de la construction ». Si vous n’aviez pas encore compris le message, là au moins c’est clair. Et à la fin on aboutit à la fable habituelle qui nous promet qu’on va « faire de Tours le moteur d’une agglomération tourangelle durable ». Durable, on vous dit, avec du beau béton !

Article 1. Une charte pour inscrire la ville de Tours dans une ambition urbaine partagée

Ça commence fort ! Le titre de cet article 1 ne veut absolument rien dire donc nous ne nous sommes pas embêtés à le traduire. Arrêtons-nous quand même sur le dernier mot, « partagée ». Nous ne savons pas s’il s’agit d’une énième référence à saint Martin mais en tous cas ça intrigue : une ambition partagée avec qui ? A l’évidence ce partage doit avoir lieu entre les signataires de la charte, c’est-à-dire, pour reprendre les mots de la mairie, « les architectes, professionnels du BTP, bailleurs... ». Mais quelle peut bien être l’ambition partagée de cette bande de joyeux drilles ? Ah oui, comme d’hab’ en fait : faire du fric [3], des thunes, du pognon… enfin de l’attractivité, pardon. Nous débutons juste l’écriture de l’article et nous avons déjà l’habitude de nous répéter… promis, c’est pas de notre faute.

L’introduction est claire sur les ambitions : « La vitalité économique, la valorisation du statut métropolitain, la production du logement et l’offre renouvelée en équipements impliquent la mise en œuvre de projets qui vont nécessairement donner lieu à de nouveaux cycles d’aménagement et de transformation de la ville ». Traduction : « pour faire du blé on va continuer de construire des daubes architecturales et urbaines un peu partout ».

Ce qui suit immédiatement, nous avons aussi renoncé à le traduire intégralement mais tous les mots clefs y sont, ça sonne tellement creux que nos têtes résonnent à la lecture : « porteuse d’une modernité bien pensée (...) un processus maîtrisé, adapté et performant (...) reconnue et partagée avec les différents acteurs (...) une démarche partenariale, pédagogique dans sa forme et son contenu (...) une responsabilité commune... ».

Ensuite sont présentés cinq points qui précisent que la charte doit permettre

  • « d’inscrire la ville dans un processus de développement concerté et négocié » Traduction : que public et privé bossent main dans la main pour le bien du privé ;
  • « de partager les grands axes de la politique urbaine locale et d’élaborer une culture commune » Traduction : que public et privé bossent main dans la main pour le bien du privé (quoi, ça se répète ? On vous a dit que c’était pas notre faute) ;
  • « de fixer la méthode et les engagements réciproques permettant de favoriser le développement urbain harmonieux de Tours » Traduction : que public et privé bossent main dans la main pour le bien du privé (mea maxima culpa mais nous n’y pouvons vraiment rien) ;
  • « de proposer des programmes de construction en adéquation avec les attentes des habitants » Traduction : il ne faut pas se planter sur ce qui est commercialisable, il faut que les clients usagers viennent dépenser leurs thunes ! ;
  • « de rendre compréhensible et acceptable la politique urbaine auprès des habitants » Traduction : il faut qu’on se débrouille pour que les habitants nous fassent pas suer en critiquant nos beaux projets.

Bref, trois points pour dire à peu de chose près la même chose et la promesse de continuer de traiter les habitants comme des clients à qui l’on impose leurs choix. Nous qui croyions naïvement l’heure de la « coproduction » (c’est eux qui le disent !) enfin arrivée...

Article 2. Les grands axes de la politique urbaine de Tours

C’est là qu’on rentre dans le dur. Nous nous apprêtons donc à remballer nos sarcasmes et à varier un peu un discours qui commence à nous ennuyer nous-mêmes tellement il se répète. Ce deuxième article présente dix points que nous traitons ici un par un.

2.1. Inscrire la production urbaine dans le contexte architecturale tourangeau

Ici on nous joue la même mélodie que pour le haut de la rue Nationale (comme d’ailleurs dans tous les projets urbains de France et de Navarre). Il s’agirait de prendre en compte les particularités locales avec l’identité élevée comme une valeur, cette rhétorique servant toujours à justifier des bâtiments et des usages (logements bien rangés et déambulation active dans des espaces commerciaux) des plus communs dans une économie mondialisée.

Évidemment cela fait fi de tout contexte social, les quartiers se résumant à des questions de couleurs et de formes. Sont vantés les mérites des coteaux, de la Loire et le document insiste bien sur la marotte du maire en précisant que l’on veillera à éviter « les ruptures d’échelle, (...) les contrastes chromatiques trop importants ». Il est immédiatement précisé que ceci est valable sauf si ces éléments sont « justifiés pour des raisons architecturales ou urbaines telles qu’un signal ». Un signal urbain (ou architectural) est un terme des années 2010 qui désigne plus ou moins un bâtiment remarquable (le plus souvent par la combinaison d’un côté d’une certaine dimension, plus particulièrement sa hauteur, et de l’autre par son architecture contemporaine) qui signale une position dans la ville dont il transforme le paysage en le rendant singulier. En des temps pas si reculés on aurait parlé de monumentalité, mais dans la ville moderne, durable et attractive ça fait un peu vieux jeu. C’est précisément le concept qui sert à produire n’importe quelle bouse comme par exemple, tiens c’est amusant, les hôtels du haut de la rue Nationale.

Surtout, la charte s’annule ensuite en expliquant, et ce en gras, que « Le respect des formes urbaines existantes représentatives de l’identité tourangelle ne doit pas empêcher l’émergence, lorsqu’elle respecte l’existant, de formes architecturales audacieuses qui ont contribué par le passé au rayonnement de la ville de Tours et peuvent le cas échéant répondre aux évolutions des modes de vie, de déplacement et de consommation de l’espace urbain des citadins ». Si vous avez bien suivi, puisque le but est précisément l’attractivité, alors on peut faire n’importe quoi pour atteindre ce but... Bref ce premier point ne sert strictement à rien à part faire semblant de rassurer le bourgeois sur le fait que les choses ne changeront pas trop dans not’bonne ville.

Notons que l’expression « consommation d’espace » est en elle-même magnifique et résume bien toute la vision qui sous-tend l’urbanisme actuel : la ville n’est jamais qu’une marchandise et la mairie une boutique de marchands de tapis [4] : si le client veut du faux vieux on lui en donne, s’il veut du nouveau bling-bling on lui en donne aussi. En fait, dans ce ramassis de langue de bois, c’est probablement l’expression la plus honnête.

2.2. Préserver les points de lecture du grand paysage

A peu près les mêmes poncifs sur l’importance de conserver le contexte que dans le point 2.1., sauf qu’ici ça s’applique à la Loire et aux coteaux ainsi qu’aux arbres. Ce qui frappe c’est la proximité du vocabulaire avec celui emprunté pour vanter les mérites du projet du haut de la rue Nationale. Pour le coup, alors que nous en avions déjà parlé à l’époque, nous n’y revenons pas tant nous aurions l’impression d’écrire une fois de plus le même article. Nous vous renvoyons vers celui-ci : Une leçon de langue de bois urbanistique.

2.3. Satisfaire le besoin de nature en ville des habitants

Le bas peuple, mon bon monsieur, ça a besoin de végétation, c’est « indispensable pour le bien être ». Aussi, à Tours, on sait prendre ses responsabilité : bientôt un géranium derrière chaque client habitant ?

Là, la charte prend des accents presque lyriques : « L’arbre remarquable, les cœurs d’îlot végétalisés, les clôtures et leur accompagnement végétal, la perception des coteaux boisés de la Loire et du Cher, les espaces libres, les jardins publics ou privés sont les éléments constitutifs du réseau vert urbain tourangeau érigé en bien commun ». Nous nous amusons d’abord de l’usage du singulier pour qualifier « l’arbre remarquable », signalons que le plan de climat de Tour(s) Plus en compte en réalité l’incroyable nombre de 27. Ensuite nous constatons avec émoi que les jardins privés sont élevés au rang de un bien commun (ça veut dire qu’on peut libérer les nains de jardin ?), tout comme les clôtures végétalisées... Les clôtures élevées au rang de bien commun c’est quand même un tour de passe-passe pas banal, nous qui croyions qu’une clôture était un truc qui sépare, nous en sommes pour nos frais.
Enfin, ça permet de montrer que l’alliance de la végétation et du sécuritaire est une super idée pour faire accepter celui-ci. Notons que ce n’est pas toujours aussi facile que pour les clôtures : ainsi, il n’est pas rare que des arbres soient ratiboisés pour dégager le champ de vision des caméras de vidéosurveillance qui parsèment l’espace public (et que la mairie souhaite multiplier).
Au fait, quel est le rapport entre trois arbres chétifs, deux jardins de lotissements, trois clôtures et la... « nature » ?

2.4. Adapter la programmation des logements pour répondre à tous les besoins

Un titre qui témoigne d’une bonne intention... c’est après que ça se gâte. D’abord, le document constate que Tours perd des habitants, notamment parce que les familles quittent la ville au profit de la banlieue immédiate, parce que les apparts sont trop petits. La solution proposée (malgré le fait qu’il est mentionné qu’un bilan doit être fait) est de construire des logements à destinations des primo-accédants et des familles et notamment des logements individuels. La bonne vieille démagogie du logement individuel revient ici comme un vieille antienne d’une droite qui refuse de voir le désastre social de l’accession généralisée à la propriété et du fantasme du logement individuel avec sa parcelle de jardin.

2.5 Préserver durablement le cadre de vie des riverains (pendant et après le chantier)

C’est le point de réflexion pour éviter les tensions toujours ennuyeuses (ça coûte du temps et souvent de l’argent) avec les habitants. Pour la mairie et ses cosignataires, les tensions ne viennent que des habitants et c’est pourquoi il faut se doter « d’un mode opératoire susceptible d’éviter les incompréhensions ou générer des tensions ». Le problème en effet c’est que les habitants ne comprennent rien aux merveilleux programmes que la mairie développe pour eux, et qu’ils se fâchent pour rien, pendant et après. A Tours, ils n’ont pas compris que Monconseil c’était super, tout comme les habitants de Notre-Dame-des-Landes n’ont pas compris que l’aviation c’était le futur.

Mais la mairie est là pour les aider et voilà le programme :

  • « bien construire », en gros essayer de pas trop faire n’importe quoi n’importe comment, nous y croyons à fond...
  • « informer  » C’est le seul engagement crédible : aucun doute, des communicants vont faire le boulot pour que les choses se passent au mieux. Par contre nous ne savons plus du tout où est passé la coproduction, puisqu’il est bien précisé que les habitants seront tenus au courant après que les décisions aient été prises : « Dès lors que le projet est stabilisé dans sa conception une réunion d’information/concertation peut être organisée en direction des riverains ». Sur quoi pourrait-on alors se concerter ? Ne jouons pas les innocents, c’est toujours comme ça que ça se passe. Est aussi précisé que les riverains seront informés et, « autant que possible », protégés des nuisances liées aux chantiers ; on espère que le « autant » sera au-dessus de la moyenne parce qu’en général sur ce point c’est la cata.
  • « gérer le temps des travaux », c’est un peu la même idée mais en insistant sur la gestion des déchets qui devront être éliminés ou, mieux, valorisés. Demain à Tours, un chantier propre ? En France, les déchets liés au BTP représentent la bagatelle de 33% du total de déchets produits, une paille.

2.6. Opter pour une densité adéquate

Encore deux termes qui ne veulent rien dire. D’abord « densité », c’est un peu le mot qui fait peur et qui signifie 15 choses à la fois. De quoi-parle-t-on : densité de population, de construction au sol, de construction en mètre carrés, d’habitants, de fans du maire ? Et « adéquate », c’est bien ça, c’est un peu comme « à taille humaine » ou encore « adaptée »... c’est tellement flou que ça ne veut rien dire.
On en apprend quand même un peu plus dans ce point : la mairie parle bien de densité de construction a priori en mètre carrés et elle précise qu’« il ne s’agit pas de « remplir » la parcelle en appliquant automatiquement le maximum autorisé par le Plan Local d’Urbanisme mais d’opter pour un parti d’aménagement adapté au site ». Tiens, « adapté » ? Amusant et toujours aussi précis. Résumons : messieurs les promoteurs, faîtes ce que vous voulez tant que votre publicitaire sait vendre de l’adaptation.
Dans ce point une nouvelle précision : « Chaque opération doit apporter sa part au développement de la trame verte urbaine ». Donc si nous avons bien suivi depuis le début : une clôture de barbelés végétalisés et le tour est joué.

2.7. Permettre une mixité fonctionnelle et sociale

Il faut attendre le septième point pour voir arriver ce poncif qu’est la mixité. A ce propos, nous vous suggérons la lecture d’un excellent article de Matthieu Giroud intitulé « Mixité, contrôle social et gentrification ». Notons qu’à Tours et dans cette charte, c’est surtout la mixité fonctionnelle qui prime, et la mairie est pour une fois assez honnête en n’en faisant pas des tonnes puisque sur onze lignes de ce point seules deux lui sont consacrées, en ces termes : « un projet doit permettre l’occupation par une population venant de différents milieux, de différentes classes d’âge, de différents parcours ». Plutôt que de mixité, il s’agit donc de diversité, et le flou est une nouvelle fois la principale figure de style.

2.8. Proposer un grand confort d’usage aux futurs occupants

Plein de bonnes intentions sur la manière de concevoir les logements afin qu’ils soient plus agréables et que les habitants soient moins tentés d’aller coloniser les campagnes alentours (la justification donnée est la lutte contre l’étalement urbain, mais l’enjeu est probablement plus pragmatiquement de maximiser la rentre fiscale). En gros, ça n’engage pas à grand-chose mais si on suit tout ça on ne sera pas loin du bonheur puisque demain à Tours, nous aurons tous « une surface de vie confortable et bien pensée », des « terrasses, serres, ou loggias positionnées préférentiellement sur les espaces privatifs » qui nous permettront de « développer des pratiques semblables à celles des petits jardins de ville » tout en préservant « tout ou partie » notre intimité. Nous ne savons pas trop ce que signifie « tout ou partie » dans ce contexte mais soyons sympas, le reste est presque enthousiasmant. Le problème, c’est que ce sont des promesses qu’on entend partout depuis des années et qui aboutissent à construire des bâtiments comme ceux qu’on trouve par exemple à Monconseil ou aux Deux Lions.

2.9. Construire des projets performants dans l’utilisation et la gestion des ressources

Le fameux développement durable ne débarque qu’au neuvième point… et évidemment il doit se juger à l’aune de la sacrosainte « performance ». Un peu d’isolation et trois panneaux solaires feront généralement l’affaire, mais l’ambition ne manque pas puisqu’une « démarche d’architecture bioclimatique (ensoleillement, masque, orientation, gestions des apports thermiques et lumineux, confort d’été) est engagée ». Cette phrase est immédiatement suivie de la seule phrase en gras de ce paragraphe et qui permet de bien constater que cette charte a été écrite avec des professionnels qui ne comprennent absolument rien à l’écoconstruction. Il est ainsi précisé que cette démarche est engagée « sans toutefois porter atteinte à la qualité d’usage et au paysage urbain (le recours systématique aux façades aveugles au nord est ainsi à proscrire) ». Cette phrase démontre une fois de plus l’incapacité de ceux qui nous gouvernent à se renseigner et à prendre de la hauteur. Le cliché idiot selon lequel une habitation écolo c’est moche parce que ça ressemble à un thermos sans fenêtre a visiblement encore de l’avenir. Quiconque s’est un peu intéressé au sujet a constaté que l’écoconstruction c’est aussi, et même particulièrement s’intéresser à l’éclairage. Et ce constat n’est pas valable que pour vos copains qui construisent une maison en paille : dans l’industrie du bâtiment classique, les bureaux d’études utilisent des indicateurs qui imposent une certaine quantité de lumière, y compris au Nord.

2.10. Permettre l’évolution et la réversibilité des projets de construction

Le dixième et dernier point est une nouvelle bonne intention qui n’engage pas à grand-chose : penser dès ses prémices l’évolution des usages et de la forme d’un bâtiment. Il contient quand même un passage marrant venant d’une municipalité dont une bonne part des élus a été vent debout contre le mariage pour tous : « Le projet s’adapte également à l’évolution des styles de vie et des modèles familiaux (appartements communicants, facilement divisibles, etc) et intègre, si possible, des possibilités d’extension ». Au début, nous avons presque cru qu’il s’agissait de repenser radicalement la famille traditionnelle… mais qu’on se rassure, il s’agit surtout de travailler au repeuplement de la ville.

Article 3. Une méthode fondée sur le partage et garantie de la qualité

3.1. Composition et fonctionnement de l’atelier des avant-projets

L’article 3 annonce la création d’un « atelier des avants projets » [5] destinés à assurer la concordance entre les ambitions politiques de la mairie et celles des professionnels de la construction avant le lancement de nouveaux projets. Comme la première cherche à attirer des capitaux et les seconds à faire du fric, on se doute qu’ils vont avoir du mal à se mettre d’accord… Outre des représentants de la mairie, ces ateliers feront intervenir l’architecte des bâtiments de France (ABF), l’architecte conseil de la ville et le directeur de l’agence d’urbanisme.

Plus intéressant que sa composition est le fonctionnement de cet atelier qui se réunira toutes les deux semaines et fonctionnera pour chaque opération en trois temps. Le premier, où l’atelier se réunira en formation restreinte, aboutira à un avis écrit de la ville destiné à faire part aux bâtisseurs des attentes qu’elle nourrit sur le projet (rappelons ici que seul le PLU fixe les règles de ce qui pourra être construit ou non). Le deuxième consistera pour le « porteur de projet » à démontrer « la compatibilité de l’opération sur la base des enjeux partagés ». En bon français, ça veut dire vendre son truc en brossant la mairie dans le sens du poil avec un discours bien rôdé pour que le projet passe (d’ailleurs la charte précise que « Les modalités de présentation et les outils utilisés restent à [l’] appréciation [du porteur de projet] »). Quand au troisième temps, qui est le fond de la question, ce sera celui de « l’instruction de l’autorisation d’urbanisme [qui se déroulera] en limitant les risques de remise en cause sur le fond (programme, forme…) du projet ». En résumé, retour à une antienne inévitable aujourd’hui : que public et privé bossent main dans la main pour que les projets privés se passent au mieux.

Tout ça pour ça ? Sans doute que oui, cette charte, comme tous les outils de ce genre, est avant tout un coup de comm’ politique qui permet à Serge Babary et ses acolytes d’affirmer qu’avec eux la ville sera bien faite. Comme rien ne sort vraiment chamboulé, et sauf à considérer qu’elle est déjà bien faite, il y a lieu d’être sceptique…

3.2. Une charte active et vivante

Le dernier point de la charte précise qu’elle sera évaluée avec toutes les parties et que son but est avant tout d’être « efficace et donc adaptable ». Faudrait quand même pas que la mairie passe à côté des prochaines solutions toutes faites pour « rayonner » grâce à une ville « de qualité ».

On prend les paris ? Nous mettons quelques pièces sur l’arrivée prochaine de ce que les communicants rangent dans la case « tech » avec l’ajout de points venant garantir l’informatisation, la connexion, l’automatisation et le contrôle des bâtiments et de leurs habitants. Et nous pouvons déjà vous dire que la mairie nous vendra ça comme une « ville intelligente et connectée ». Au nom de l’ « attractivité » bien sûr…

Hervé Lajeunesse et Martin Sodjak

Notes

[1Il déclarait notamment qu’il ne comprenait « comment on peut faire, comment dire, l’apologie de ce quartier-là, qui est un quartier complètement anarchique, qui n’a aucune unité, où la plupart des logements… où c’est l’endroit de Tours où on trouve le plus de locations dans des petits logements, où c’est vide, où il n’y a pas de commerces parce que c’est extrêmement difficile de s’implanter, où les infrastructures qu’il y a autour… (…) C’est incroyable de pouvoir encore une fois défendre un quartier qui a été honni par la plupart des habitant traditionnels entre guillemets de ce quartier, qui sont là depuis des années, qui ont vu fleurir devant leur porte, au bout de leur jardin, des bâtiments… un à droite, un à gauche, pas de cohérence, des couleurs… ça sort de tous les côtés. (...) Alors si vous vous trouvez que ce quartier est un vrai quartier de ville, où il y a de la vie dans ce quartier-là, où il y a de la mixité, où il y a de la joie, où il y a des commerçants, où il y a des espaces sympathiques pour la population, et ben franchement… Mais c’est une ville dortoir, c’est une ville morte que vous voulez ! » (NB : le texte quasi-intégral de son intervention est retranscrit dans le compte-rendu du Conseil Municipal du 17 octobre 2015.)

[2Nous vous renvoyons à nouveau à la lecture du compte-rendu du dernier conseil municipal. Pour un développement de qualité sur la question de l’attractivité, nous vous encourageons à lire « Ne me parlez plus d’attractivité », excellent article du journal grenoblois Le Postillon.

[3Notons que parmi les glorieux philanthropes qui ont participé à rédiger ce document pour bien être sûr qu’il n’embête personne, il y a des membres du Club Immobilier de Touraine, un club qui « fédère l’ensemble des professionnels et acteurs économiques représentatifs des activités liées à l’immobilier ».

[4Signalons ici que l’ancien local de campagne du maire a été repris par... un marchand de tapis.

[5Oui, oui, il y a une phrase dans laquelle il y a un « s » à avant… encore un dossier bien maîtrisé par la mairie.