Bière et fête : rencontre avec La P’tite Maiz’, brasserie artisanale en Sud Touraine

Après la mécanique vélo et les maisons en paille, on continue le voyage dans la galaxie des savoir-faires avec cette fois-ci la Bière.
Rencontre avec Christophe de l’association des Compagnons de La P’tite Maiz, brasserie en cours de professionnalisation à Chaveignes dans le Sud Touraine qui organise son festival annuel, le 3ème du genre, les 5 & 6 septembre.

Qu’est-ce qui t’a motivé à faire de la bière ? Est-ce qu’il s’agit juste de faire de la bière, ou est-ce qu’il y a autre chose derrière ?

Plus généralement, il y a un choix de vie. J’ai acheté ce lieu pour être à la campagne. Je vivais à Paris depuis quinze ans, alors que mes parents sont de Tours et que je suis plutôt provincial. J’avais envie de bouger, ça faisait longtemps que ça me trottait dans la tête.

La bière, c’est venu à force de déguster, de boire. J’ai réalisé que c’était un produit d’une grande richesse, qui m’intéressait vraiment. Je me suis d’abord attaqué à la théorie, aux matières premières, et puis je me suis dit que ça avait pas l’air si complexe de faire de la bière, donc j’ai décidé d’essayer. J’ai commencé par me renseigner sur des forums : les temps de cuisson, les ingrédients... Ensuite, je me suis lancé.

J’ai été assez vite satisfait des produits que je brassais, mais il me manquait un petit truc. Sur certains goûts, ou faux goûts, sur la fermentation ou le resucrage... Au bout de trois ans, j’ai voulu aller plus loin, et je suis allé faire un diplôme universitaire (DU) à La Rochelle. J’étais dans une grosse promo qui ne comptait que des passionnés.

J’ai une autre passion, la musique, et j’ai toujours voulu faire des activités autour de la culture. Mais le côté bureau, etc. m’a un peu dégoûté. Du coup, j’ai créé en mars 2013 une asso ayant pour objet la bière, la culture, et la culture de la bière. Dans les grandes lignes, ça comprend des visites de musées, des visites de brasserie, des ateliers de formation au brassage amateur, des dégustations.

Pour l’instant, ça s’appelle La P’tite Maiz’, mais ça va sûrement changer. Certains dans l’asso pensent que ça serait dommage, parce qu’on a déjà une certaine assise. Mais le « p’tite » a, à mon avis, un aspect réducteur. Au départ, c’était vraiment mon projet, et maintenant on aimerait s’associer avec un pote qui a le même DU que moi.

Faire de la bière, ça rejoint mon projet de vie, qui comprend le fait de vivre sur mon lieu de production, de pas avoir de patron... Je dirais pas « ne pas avoir de contraintes », parce qu’il y en a énormément : brasseur, c’est du 8h-22h six jours sur sept pendant les trois premières années. Mais au moins je fais mon truc.

Je suis assez proche de la scène brassicole parisienne, et je suis certain qu’il va y avoir une explosion du nombre de bars proposant des bières nouvelles, artisanales. Y compris des « brew bars », où la bière est brassée sur place.

Ça existe déjà...

Ça va vraiment se développer, parce que les consommateurs ont envie d’autre chose que ce qu’on leur sert, et que les brasseurs français ont autre chose à proposer que la production industrielle. Je suis pas du tout sur le même créneau que mes concurrents locaux. On est pas sur une bière de terroir, et on va pas se gêner pour aller chercher des houblons en Nouvelle-Zélande ou en Australie. On travaille au maximum avec des malts français, parce qu’il y a de très bonnes choses, mais pour le houblon c’est pas ça. En tant que créateur, le fait d’avoir accès à un terroir mondial donne accès à une vraie richesse de saveurs : il y a une infinité de combinaisons possibles.

Pourquoi avoir décidé de passer par l’université, plutôt que de t’auto-former au contact d’autres brasseurs ?

Je me suis souvent posé la question. Parce qu’au départ, j’avais décidé de ne pas faire cette formation à La Rochelle. Et puis, mon associé m’a convaincu qu’on allait y apprendre des trucs intéressants qui nous manquaient. Aujourd’hui, je ne regrette pas d’être passé par là. J’ai appris des choses géniales, comme la culture de levures en boîte de pétri. Même si en sortant, j’avais l’impression d’en savoir encore moins qu’en entrant, et que le contenu de la formation ne correspondait pas forcément à mon projet. J’y ai amélioré ma bière, et c’est la seule chose qui m’importe. Ce que j’y ai appris en un mois, il m’aurait peut-être fallu dix ans pour l’apprendre en dehors. J’y ai aussi rencontré des gens intéressants, et j’y ai développé des idées, comme la création d’un concours de fabrication de bières pour amateurs.

Tu peux nous rappeler de quoi est faite la bière ?

En gros, la bière, c’est quatre matières premières : de l’eau, du malt – en général, de l’orge, dont la germination a été stoppée, et qu’on grille de manière à obtenir un malt plus ou moins foncé, ce qui donnera à la bière sa couleur –, du houblon – qui apporte à la fois l’amertume et l’arôme –, et des levures. Ce sont les levures qui transforment le sucre en alcool et en gaz carbonique.

D’où vient l’orge que tu utilises ?

Je le commande généralement en Belgique ou en Angleterre, mais je le commanderai en France quand on passera en gros, pour réduire les coûts. Pour les petites quantités qu’on produit actuellement, il est possible de trouver mieux ailleurs. Ce sont des questions de malteurs, de conditionnement... La France n’est pas vraiment un pays de producteurs de bière, si on excepte la production industrielle – les quelques 700 producteurs de bière artisanale ne fournissent que des quantités ridicules par rapport aux industriels.

Est-ce que t’as réfléchi à bosser avec un producteur local qui pourrait te fournir de l’orge ?

C’est un truc qui me plairait, et il existe pas mal d’initiatives dans ce sens en France, comme des coopératives houblonnières, mais si je ne les ai pas encore éprouvées. Je ne crois pas que ce qui existe en Touraine corresponde à ce que je recherche pour le moment.

A La Rochelle, j’ai rencontré des personnes qui voulaient créer des coopératives de brasseurs, pour effectuer des achats ensemble, et bénéficier du même matériel, avec des plannings de brassage, etc. Il y a plein de projets de ce type.

J’ai toujours eu envie de construire des projets avec des gens, de monter une petite communauté quelque part... Mais tu parles avec des personnes qui ont plein de projets géniaux, qui partagent tes envies, et il ne se passe jamais rien – c’est peut-être l’ambiance de Paris qui veut ça. A un moment, j’en ai eu marre d’attendre que d’autres soient prêts à se lancer. La bière, c’est une passion, mais ce projet a été aussi une manière de m’affirmer : je n’allais pas attendre cinq ou dix ans que les autres se réveillent.

Bosser avec des mecs du coin qui font de l’orge ou du malt, ça m’intéresserait, mais pas seulement sous prétexte qu’ils sont sur le même territoire. Il faudrait que le produit ait la qualité que j’en attends, afin que ma bière ait le goût que j’en attends. Je ne bosserai pas avec mon voisin si ça suppose que ma bière soit moins bonne.

Au départ, tu parlais de projet de vie. Ça consiste en quoi pour toi ?

C’est quelque chose d’assez « détente ». Ça consiste à faire ce qui me plaît, à avoir des ruches dans mon jardin pour faire des bières au miel, de m’occuper de mon potager et de me lever à l’heure que je veux. J’aimerais un jour accueillir des gens ici, avoir des enfants. Il y a l’idée de travailler et de vivre sur un même lieu. Mon projet, c’est de me trouver en accord avec ce que je pense être. Au fond, il y a une idée d’autonomie, et peut-être à terme de possibilités de troc – échanger, avec mon voisin, des bières contre des légumes.

Qu’est-ce qui t’a motivé à t’installer ici, à part le prix du foncier ?

Le foncier pas cher, c’est chouette, mais je voulais m’installer à Tours ou dans les environs. J’ai pas mal voyagé dans le pays quand j’étais plus jeune, baladé par mon père militaire, et ce coin-là me plait beaucoup. Le fait de travailler avec des matières premières du monde entier ne veut pas dire qu’on n’est pas attaché à une distribution locale ou à une exposition locale de nos produits, même si cela ne représentera vraisemblablement qu’une petite part de notre futur marché. Je compte bien m’installer durablement sur ce territoire.

A quoi mènent les liens que tu peux construire avec des paysans locaux, avec un bar du coin, un vigneron, etc. ?

Bosser avec des gens et des structures que j’apprécie, avec qui je partage certaines connivences politiques ou culturelles, c’est aussi ce qui me motive dans ce projet. Ça fait partie de moi, ça relève de mon affect. Après, niveau business, 50 % de notre marché se situera probablement en région parisienne ou dans les grandes places européennes de la bière. La vente directe, les marchés locaux, ce sera moins notre truc. On devrait faire moins de 30 % de ventes en local. A ce stade, on réfléchit même à donner à la brasserie un nom à consonance anglo-saxonne.

En soit, vous allez un peu contre la tendance du moment, qui consiste à jouer sur l’appartenance à un terroir ? On voit beaucoup de monde retourner au travail de la terre avec une démarche plutôt localiste.

Dans ma consommation personnelle, je privilégie les circuits courts, j’ai une démarche locale, mais je vais pas acheter une bière que je n’aime pas sous prétexte qu’elle est locale. Il y a plein de bières locales qui sont dégueulasses, mais parce qu’elles portent le nom d’un lieu, les touristes l’achètent au supermarché local pour la ramener à leurs copains. Je préfère que ma bière soit bonne et me ressemble. Donc c’est pas parce que je me suis installé à Chaveignes que je vais produire la bière du coin.

De nombreuses personnes ont envie de produire des choses eux-mêmes, et se tournent vers le maraîchage, la viticulture ou autre. Ils se retrouvent souvent à bosser énormément, pour des revenus assez faibles. Quel regard tu portes sur le temps de travail et l’énergie nécessaires à la réalisation de ton projet ?

Je sens que j’ai encore suffisamment d’énergie pour faire ça. La bière, c’est une passion, que je peux partager avec des gens qui comptent parmi les meilleurs brasseurs français ; ce sont des personnes dont je me sens très proche. J’avais envisagé de trouver un boulot de brasseur en CDI, mais au final je serais prêt à bosser gratos à partir du moment où j’ai de la matière première. Là, j’arrive même à en tirer un peu de pognon.

Au départ, on s’est constitué en asso, parce qu’on n’avait pas d’ambition professionnelle, mais on va passer à un format entreprise quand on aura la capacité de produire et distribuer de plus grandes quantités de bières. Passer à de grosses quantités, ça va être chouette. On travaillera autant pour produire 1000 litres que pour en produire 50. Ta journée de brassage ne dure pas plus longtemps, c’est juste le matériel qui change de volume. Là, ça deviendra rentable. Mais ça restera la même passion.

Du coup, vous allez devoir investir une somme assez importante pour pouvoir produire ces grosses quantités. C’est parce que le matériel coûte cher, parce que vous devez vous mettre aux normes, ou parce que vous voulez être super bien équipés ?

On veut vraiment s’installer avec du bon matériel : une ligne d’embouteillage, des cuves cylindro- coniques à double paroi pour pouvoir maîtriser les températures de fermentation de très près, etc. On a développé un sens de l’exactitude qui fait qu’on n’a pas envie de partir sur du matos un peu bancal. J’aurais l’impression de ne pas être au maximum de ce qu’on peut offrir. Mais dans nos frais d’investissements, il y a aussi une bonne partie liée à la mise aux normes du bâtiment où se déroulera la production.

Qu’est-ce qui différencie la bière que tu brasses dans ton arrière-cour et ce que vous allez brasser avec ce matériel ?

Pas grand chose. On va mieux maîtriser nos fermentations, et on aura des bières stables : quand on aura développé une recette qui déchire, on sera en mesure de la reproduire exactement la fois suivante. En fait, on va surtout augmenter le litrage. Les matières premières et le savoir-faire seront les mêmes.

Est-ce que la question du savoir-faire te travaille ?

Transmettre mon savoir-faire fait partie des choses que je préfère. J’ai ce qu’on appelle des « disciples » dans la P’tite Maiz’ ; des gens qui viennent faire les brassins avec moi, auxquels j’explique tout. Avec l’asso, on a créé des ateliers de brassage ouverts à toutes les personnes qui souhaitent voir de plus près la fabrication de la bière.

Il y a eu une transformation de la perception de la consommation de bière en France. Il y a dix ou vingt ans, la bière était associée aux prolétaires buvant de la Kronenbourg. Aujourd’hui, les bourgeois et les petits-bourgeois sont très fiers de boire de la bière artisanale en prétendant avoir un palais : c’est devenu un produit noble. En tant que brasseur qui profite de cette évolution – du passage d’une consommation populaire à une consommation plus bourgeoise –, comment tu perçois ça ?

La bière est effectivement un produit qui s’embourgeoise, qu’on sert dans les dîners... Son image s’est redorée, notamment grâce un enrichissement de l’offre, et le développement de produits de meilleure qualité. Evidemment, c’est quelque chose dont je profite, puisqu’il est maintenant possible de vendre des bouteilles de bières à dix-sept euros. Mais si c’est un produit léché, bien foutu, que tu as laissé vieillir pendant un an en fût de chêne, tu peux pas vendre ça à un euro la canette. En tant que consommateur, j’achète des bières de 33 centilitres à 11 euros. Ça ne me pose aucun problème, et je n’aurai pas non plus de problème à vendre certaines de mes bières à ce prix-là.

Depuis tout à l’heure, tu nous parles de la bière comme d’un art. Du coup, ça me pose la question de la biture. Est-ce que pour toi la bière et la biture vont de paire ?

Oui, je crois que ça va de paire. Si la bière n’apportait pas une certaine ivresse et un certain détachement, je n’en produirais probablement pas. Je suis très attaché à l’aspect festif de la bière. La limite, elle arrive au moment où tu n’es plus en mesure de faire ce qui te plaît ; ça veut dire que t’as un souci. C’est la question du vigneron alcoolo en fait... J’ai envie d’apporter des produits bien faits, qui ont du goût, mais j’ai aussi envie d’apporter la fête et la détente. C’est dans cet esprit qu’on a monté une association et qu’on organise des fêtes. Je n’ai pas envie de faire goûter mes bières à des groupes de dix personnes auxquelles je ferais payer 50 balles – même si ça marcherait sans doute très bien. Notre idée, c’est de boire des coups et de se rencontrer.

Propos recueillis par Michel Samousse & Peter Gush

Les 5-6 septembre, à Chaveignes, 3ème édition du festival de la P’tite Maiz : des groupes de musique, des jeux de plein air et de la bière artisanale. Plus d’infos sur http://www.compagnonsptitemaiz.org

P.-S.

Au dernières nouvelles Christophe s’est classé 4ème sur 76 au concours international de brassage amateur de la Paris Beer Week fin mai avec une bière brune, la "4th Obscure". Cette bière sera présente les 5 et 6 septembre prochains en quantité limitée. A vos papilles !