Accueillir pour mieux exclure : quand le travail social se mue en maltraitance

RESF37 a souvent dénoncé (notamment au côté du DAL37) la précarité extrême des migrant-es notamment en terme d’hébergement de logement. Les responsables en sont évidemment l’Etat et la préfecture, mais aussi les collectivités locales (conseil général, mairies, etc.), sans oublier les associations aux ordres qui ne sont là que pour toucher les subventions au moins disant. C’est au tour d’Emergence d’être pointée du doigt à travers une lettre ouverte : cette « association » tourangelle joue un jeu permanent de chaises musicales, expulsant une famille à la rue pour la remplacer par une famille à la rue et ainsi de suite. Faire et défaire c’est toujours travailler...

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Lettre ouverte à Jean-Paul LEDUC, Président de l’Association Emergence

Monsieur le Président,

Cette lettre est la 4ème que le Réseau Education Sans Frontières d’Indre-et-Loire (RESF37) vous adresse. Par trois fois déjà nous vous avons demandé de faire cesser les méthodes inadmissibles de votre association à l’égard du public qu’elle prend en charge.

Nos mises en garde sont restées sans réponse.
Cette 4ème lettre sera donc la dernière.
Elle sera rendue publique.

Vous-même, Président de l’Association, la directrice, le responsable des hébergements, ainsi que les « travailleurs sociaux » que vous employez qui interviennent dans ce domaine, vous vous conduisez, non en soutiens des personnes que vous êtes censés aider, mais en exécutants zélés et serviles des pires aspects de la politique gouvernementale à l’égard des migrants, des demandeurs d’asile, de toutes les personnes démunies qui ont besoin d’un abri, d’un refuge, d’une protection.

A l’origine de votre association, et justifiant son existence, il y a des migrants que les conventions internationales et la simple humanité commandent d’accueillir dignement. La réalité de cet accueil oblige à un désolant constat :

  • sur 100 demandeurs d’asile, 20 seulement finiront, au terme de procédures longues et pénibles, soit par obtenir la protection de l’Etat français (dite « protection subsidiaire »), soit à faire reconnaître leur qualité de réfugiés.
  • les 80% restants, désignés comme « déboutés » de leur demande d’asile, basculent alors dans la catégorie des « Indésirables », des « expulsables », des rejetés, des exclus. Tous les efforts de l’Etat et de la politique migratoire qu’il met en œuvre, se concentrent alors sur un seul objectif : les chasser, de leur hébergement d’abord, du territoire ensuite. La nouvelle loi « Asile » en vigueur depuis juillet organise, accentue et systématise cette politique.

C’est dans ce cadre que s’inscrivent les « missions » de votre Association, entièrement subventionnée par l’Etat : après avoir hébergé pendant quelques mois les personnes et les familles, dans des conditions par ailleurs fort contestables (plusieurs familles dans un même appartement), vous vous employez à « faire de la place » pour les prochains arrivants.

La problématique décrite ci-dessus ne s’applique pas exclusivement à l’Association Emergence, bien évidemment. Mais vous faites partie de ces organisations dites d’accueil, d’accompagnement et de soutien, qui appliquent la politique d’exclusion et d’expulsion avec le plus de brutalité et de cynisme. Pour vous et vos salariés, tous les moyens sont bons pour mettre dehors les personnes qui, la veille encore, vous faisaient confiance. Vous n’hésitez pas à les menacer de faire intervenir la police pour les déloger, comme on ferait avec des délinquants. Vos salariés proclament à qui veut les croire qu’Emergence est dispensée des procédures légales d’expulsion. Les « travailleurs sociaux » de votre association sont passés maitres en matière de pressions psychologiques, de chantage, et de mensonge, notamment sur leur relogement par le 115 – alors que chacun sait que, contrairement aux balivernes que ces derniers colportent, le 115 les laissera à la rue si d’aventure l’expulsion du logement avait lieu.

Et ça marche !

Exténuée par le harcèlement quotidien qu’elle subissait, et terrorisée par les menaces d’intervention policière, une famille de 6 personnes, dont un bébé de 40 jours et 2 femmes gravement malades, a fini par quitter le logement où elle habitait – et dans l’heure qui a suivi, elle a été remplacée dans ce même appartement par un couple et 2 enfants avec un bébé de quelques semaines. Ces 5 personnes sans abri vivaient depuis quelque temps sous la tente, dans le « campement » des migrants du quartier du Sanitas.

Cet exemple est loin d’être unique, c’est arrivé dans un passé proche, cela va se reproduire très vite. Terrorisés par les menaces d’arrestation par la police, fragilisés par l’échec de leurs demandes d’asile, privés désormais de tout secours matériel puisque le CCAS, et les Maisons de la solidarité à qui vous les aurez signalés, n’accepteront pas de leur venir en aide, ces hommes, ces femmes, ces enfants, ces personnes malades souvent, se laisseront impressionner... et se décideront à quitter les lieux pour la rue, en désespoir de cause, et ce désespoir n’es pas une figure de rhétorique.

La seule institution publique qui leur sera encore accueillante sera l’école, le collège, le lycée de leurs enfants. Car la scolarisation des enfants est une obligation, tant pour les parents, qui y sont très attachés, que pour les établissements d’enseignement. Mais les expulsions en chaîne des hébergements que vous pratiquez allègrement remettent aussi en cause le seul ancrage social et culturel de ces familles que vous maltraitez. Interruption de la scolarité, nomadisme scolaire forcé, destruction de toute condition favorable d’apprentissage, perte des liens tissés avec d’autres enfants et d’autres familles, telles sont les conséquences de la « gestion des flux humains » que vous pratiquez sur les plus fragiles de ces familles démunies, les enfants.

Dans l’appartement que votre mépris brutal de la vie des gens aura ainsi libéré, vous installerez immédiatement une autre famille qui, provisoirement, quittera la rue pour un vrai toit.Vous contribuez ainsi à entretenir la précarité, l’insécurité, la fragilité de toutes ces personnes qui, par cette organisation délibérée de la pénurie de logements, sont « mises en concurrence ». Le résultat, sinon le but poursuivi, dresse les pauvres les uns contre les autres, faisant de celles et ceux qui sont contraints de rester dehors ou de dormir dans des halls d’immeubles, les victimes, non de la carence coupable des pouvoirs publics à assurer tous les besoins d’’hébergement, mais de « l’égoïsme » de leurs semblables en dénuement.

Chaque hébergement se fait ainsi au prix d’une expulsion. Ce jeu de « chaises musicales » doit d’autant plus être dénoncé qu’il concerne des êtres humains en détresse.

Le ressort de cette pratique indigne est évidemment à chercher dans les modalités de financement acceptées par votre association. Vous avez développé votre association en acceptant la logique des appels d’offres qui voit dans la détresse humaine un marché, sur lequel la meilleure réponse pour écraser les concurrents n’est pas la plus humaine et la plus à même de faire société, mais celle qui propose une apparence de « service » à moindre coût - d’où l’entassement de plusieurs familles dans des logements conçus pour une seule. La concurrence qui vous oppose aux autres « hébergeurs » se répercute ainsi sur les conditions d’hébergement que vous proposez.

Au-delà, vos pratiques dénaturent le fait associatif dans le secteur social : il ne s’agit plus de permettre des réponses de qualité professionnelle à un besoin social. Vous développez une logique concurrentielle et non partenariale, une logique qui abaisse et asservit les usagers, une logique dure avec les plus faibles. Une logique par ailleurs servile à l’égard de politiques qui, par ces modalités de financement, parviennent à vous détourner de vos missions de mise à l’abri d’hommes, de femmes et d’enfants pour vous transformer en auxiliaires d’une politique de développement de la précarité.

Vos pratiques portent atteinte à l’image de l’ensemble du travail social dont vous avez éradiqué la dimension humaniste et des travailleurs sociaux qui, dans un contexte où le marché de l’emploi est tendu sur leur secteur, semblent prêts à exécuter de basses besognes.

Vous êtes un maillon indispensable à la politique du gouvernement à l’égard des étrangers, notamment des demandeurs d’asile, tant ceux que l’on empêche d’entrer sur le territoire, que ceux que l’on a décidé de chasser, cette politique ne peut que produire le pire. Et votre association incarne ce pire, sans nuance, sans scrupule, en toute connaissance de cause. Mais nous ferons tout pour que ce ne soit pas en toute quiétude.

Lettre ouverte cosignée par :
ATTAC Touraine
DAL 37
NPA 37
Les personnes solidaires des migrants du campement du Sanitas,
Des participants du Cercle de silence de Tours,
Des individus en lutte.